Droit d’auteur et valorisation des résultats
Le droit d'auteur est-il un frein à la valorisation des résultats ?
Franck Charron, SPV DR1, 03/01/2011)
Afin de valoriser les résultats de la recherche en toute liberté et comme ils l'entendent, les organismes de recherche et les universités doivent être en position de jouir des droits de propriété intellectuelle associés. Or, si la propriété industrielle est clairement attribuée à l'employeur de l'inventeur, en l'occurrence et la plupart du temps, l'une des tutelles des unités de recherche, cette dévolution des droits à l'employeur n'est pas systématique pour les résultats qui relèvent du droit d'auteur, en particulier pour les auteurs fonctionnaires.
Dès lors, l'idée semble germer dans l'esprit de certains que le droit d'auteur pourrait être un frein à la valorisation des résultats, notamment de ceux issus des laboratoires des sciences humaines et sociales, plus enclin à dépendre du droit d'auteur que du droit de la propriété industrielle.
Après avoir exposé la réglementation en vigueur sur le droit d'auteur, nous tenterons d'analyser si celle-ci constitue un frein réel à la valorisation des résultats.
- Droits de propriété des résultats de la recherche publique relevant du régime des droits d'auteur
Avant la loi n°2006-961 du 1 août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite loi « Dadvsi », l'attribution des droits sur les créations intellectuelles des fonctionnaires suivait un avis du 21 novembre 1972 du Conseil d'Etat, dit avis « Ofrateme », précisant que « les nécessités du service exigent que l'administration soit investie des droits de l'auteur sur les œuvres de l'esprit telles qu'elles sont définies aux articles 1 et 3 de la loi du 11 mars 1957 pour celles de ces œuvres dont la création fait l'objet même du service ». Cette pratique ne tenait nullement compte du fait que certaines créations intellectuelles, notamment les œuvres de l'esprit desquelles font parti les publications, ne sont pas des données impersonnelles et qu'elles peuvent au contraire révéler la personnalité de leurs auteurs[1].
Même si, en pratique, cet avis n'était pas appliqué dans le monde de la recherche, notamment pour les publications, les rédacteurs de la loi Dadvsi ont cherché à préserver les droits des auteurs fonctionnaires sur leurs créations intellectuelles en leur reconnaissant, d'une part, de façon expresse la qualité d'auteur et, d'autre part, en leur attribuant les droits associés.
Ainsi, si l'article L.111-1 du Code la propriété intellectuelle (CPI) nous dit que «L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit de cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété exclusif et opposable à tous », son dernier alinéa précise que « Les dispositions des articles L.121-7-1 et L.131-3-1 à L.131-3-3 ne s'appliquent pas aux agents auteurs d'œuvres dont le divulgation n'est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l'autorité hiérarchique.»
Autrement dit, les dispositions qui visent à restreindre, d'une part, les droits moraux des auteurs fonctionnaires en leur interdisant de s'opposer à une modification effectuée sur leur œuvre dès lors que celle-ci s'opère dans l'intérêt du service public, ou encore d'exercer leur droit de repentir ou de retrait, et, d'autre part, à transférer automatiquement leurs droits patrimoniaux à leur administration, sont à décliner selon deux catégories d'agents.
D'un côté, les agents tels les enseignants-chercheurs et chercheurs qui sont recrutés pour exercer une activité d'enseignement et/ou de recherche, mais sans qu'un contrôle de cette activité soit effectué au quotidien, se voient investis de l'ensemble des droits d'auteur sur leurs œuvres. De l'autre côté, les agents tels les ingénieurs, techniciens et administratifs qui exercent leur activité sous le contrôle quotidien d'une autorité hiérarchique, cèdent automatiquement leurs droits d'auteur à l'administration qui les emploie.
A noter que ce qui compte avant tout est le degré de contrôle de l'autorité et non pas le statut de l'agent. Ainsi, un ingénieur qui démontrerait qu'il exerce son activité avec le même degré de liberté qu'un chercheur pourrait se voir attribuer la pleine propriété sur ses créations intellectuelles.
Dès lors la liberté individuelle consentie aux chercheurs par la loi Dadvsi, en leur reconnaissant la pleine propriété et l'entière jouissance de leurs œuvres, serait-elle contraire à l'intérêt collectif d'un établissement de recherche ou d'enseignement supérieur, et, en particulier pour le CNRS, à la mise en œuvre du second alinéa de l'article 2 du décret
n°82-993 du 24 novembre 1982 qui donne pour mission au CNRS de contribuer à l'application et à la valorisation des résultats de ses recherches ?
- Impact de la loi Dadvsi sur la valorisation des résultats de la recherche :
Le code de la propriété intellectuelle organise par défaut la valorisation des résultats de la recherche[2].
Ainsi, l'article L.131-3 du CPI prévoit qu'un auteur peut céder ses droits sous réserve que l'acte de cession énumère les droits cédés et qu'il précise un domaine d'exploitation « délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».
Il s'agit donc simplement de négocier avec le fonctionnaire les conditions de la cession de ses droits.
Pour les résultats des agents travaillant sous un contrôle hiérarchique, l'administration qui bénéficie d'une cession automatique a la liberté de les exploiter tant que cette exploitation n'a pas de caractère commercial. En cas d'exploitation commerciale, les dispositions de l'article L.131-3-1 du CPI, permet aux auteurs concernés de recouvrer leurs droits. Toutefois, ils ont l'obligation d'en céder de préférence l'exploitation à leur administration.
Ceci, ne laisse pas réellement de marge de manœuvre à l'auteur. En effet, soit son administration ne fait pas d'exploitation commerciale, auquel cas elle conserve les droits sur l'œuvre, soit elle décide d'en faire une exploitation commerciale. Dans ce dernier cas, elle s'engage à reverser une rémunération à l'auteur contre la cession de ses droits, rémunération dont l'article L.131-3-3 prévoit l'encadrement par un décret en Conseil d'Etat non publié à ce jour.
Si en théorie, le droit d'auteur ne donne pas à l'établissement public une liberté totale d'exploiter les résultats de la recherche relevant du droit d'auteur, il n'y a aucune raison pour qu'en pratique un établissement public qui souhaiterait valoriser les résultats obtenus par l'un de ses chercheurs ne puisse négocier avec lui la cession de ses droits. Car après tout, il ne s'agit pas d'empêcher ceux-ci de publier leurs résultats, mais bien d'en acquérir les droits d'exploitation en vue de les valoriser, ce qui, selon les dispositions spécifiques au droit d'auteur, peut se faire après coup.
Certains auteurs[3] ont noté que dès lors qu'il ne s'agit plus simplement d'une publication, mais de résultats nécessitant un investissement financier pour être valorisés, le choix de valoriser est plus affaire de l'établissement employeur que de l'auteur lui-même. En effet, malgré la volonté de l'auteur de voir les résultats de ses recherches valoriser et d'en confier, comme le prévoit le droit de préférence de l'article L.131-3-1 du CPI, l'exploitation à son employeur, ce dernier peut décider de financer ou de ne pas financer l'opération de valorisation.
S'il décide de financer, reste à régler la cession des droits qui pourrait se faire selon une rémunération calquée sur le modèle d'intéressement existant déjà pour les résultats relevant du régime de la propriété industrielle, voire pour les logiciels. Ces derniers relèvent du droit d'auteur, mais l'article L.113-9 du CPI prévoit une dévolution automatique des droits à l'employeur. La rémunération des auteurs de logiciel au CNRS s'effectue selon les mêmes principes que pour les agents à l'origine d'une invention.
Si le droit d'auteur confère en théorie un droit des chercheurs à ne pas valoriser leur résultat, leur engagement vis-à-vis de l'établissement qui les emploie à développer leur recherche et à en publier les résultats les conduit de fait à s'inscrire dans une démarche de valorisation que celle-ci soit commerciale ou non. Dès lors, les freins qui peuvent persister sont plus d'ordre politique que juridique, la valorisation étant finalement plus une affaire de volonté que de réglementation.
[1] Voir sur le sujet l'article de Marie CORNU, Création scientifique et statut d'auteur, HERMES 57, 2010, p. 85-93
[2] Je tiens à remercier Mme Isabelle de Lamberterie (ancienne directrice du CECOJI et directrice scientifique adjointe de l'Institut SHS) qui m'a apporté son éclairage sur cet aspect lors d'un entretien qui s'est tenu le 14 décembre 2010
[3] Par exemple l'article de Thierry LAMBERT, La valorisation de la recherche publique en sciences humaines et sociales face au droit d'auteur universitaire, Recueil Dalloz, 2008, p. 3021-3027.